Jardinier·e·s du Nous : cultiver ensemble la coopération

Jardinier·e·s du Nous : cultiver ensemble la coopération

L’Université du Nous (UdN) incube depuis plusieurs années un projet innovant de communauté d’apprentissage entre pairs auto-organisée, pour apprendre ensemble à cultiver la coopération dans les organisations : Jardinier·e·s du Nous.

Passer de la théorie à la pratique

Plutôt que de faire croître ses ressources internes, l’UDN fait le pari de l’autonomisation et de la coopération, en concentrant ses efforts sur le renforcement des capacités de porteuses et porteurs du changement dans les organisations, nommé·e·s les Jardinier·e·s du Nous (JDN). Elle propose à ces Jardinier·e·s de se réunir en Jardin, c’est-à-dire en groupes de pairs, pour passer de la théorie à la pratique.

Comment accompagner la mise en pratique dans un parcours de formation ? En matière de gouvernance partagée, cet enjeu est d’autant plus difficile que pour pratiquer, pour s’entraîner, il faut un groupe. Dans ces Jardins, les membres vont pouvoir faire ensemble des exercices d’intégration en lien avec des formations qu’ils ont suivies et se servir mutuellement de “cobaye” avant d’amener ces outils dans leurs organisations.

Puis, lorsqu’ils auront commencé à cultiver la coopération dans leurs organisations, ils pourront partager au sein de leur Jardin leurs retours d’expériences, leurs difficultés et leurs réussites.

Un autre usage de ces Jardins est de construire ensemble des connaissances, en se regroupant par centres d’intérêts ou contextes similaires (mouvements citoyens, collectivités locales, hôpitaux, etc.). Un Jardin Éducation réunit, par exemple, au niveau national des professionnels de l’éducation qui s’intéressent à la gouvernance partagée, soit en tant qu’activité pédagogique, soit en tant que mode de fonctionnement interne aux équipes éducatives. Au sein de ce Jardin, ils partagent leurs expériences et leurs façons d’adapter ces outils à leurs publics. Ils produisent ainsi de nouveaux supports pédagogiques adaptés à leur contexte, diffusés sous licence libres.

En septembre 2018, l’organisation des JdN a vu le jour pour relier tous ces Jardins, mutualiser les ressources humaines, pédagogiques et numériques utiles à leur développement. Début 2019, elle s’est associée à l’UdN et aux Colibris dans la réédition du Mooc “Gouvernance Partagée”, pour accélérer le déploiement de ces Jardins dans tous les territoires et contextes organisationnels. L’objectif était de créer 100 nouveaux Jardins grâce à ce Mooc.

Le Mooc “Gouvernance partagée” : une rampe de lancement

De février à juin 2019, le dispositif d’apprentissage Massive online open course (Mooc) co-produit par l’UDN et Colibris propose un parcours solo de 12 heures pour découvrir la gouvernance partagée. Il s’agit d’une 2e édition, la précédente avait mobilisé en 2017 plus de 13 000 participants.

En 2019, l’innovation pédagogique est de proposer un parcours Jardinier·e·s du Mooc. Il s’agit de compléter les apprentissages solo par des activités collectives au sein de groupes de pairs, les Jardins du Mooc. Ce parcours prend entre 10 et 40 heures supplémentaires par rapport au parcours solo et permet d’approfondir le questionnement proposé par le Mooc et la mise en pratique de ses outils.

Une communauté apprenante s’est développée pendant ces 4 mois. Plus de 140 Jardins du Mooc se sont constitués en France, en Belgique, au Québec, aux Antilles ou à la Réunion.

Si la plupart des Jardins se constituent pour suivre ensemble le Mooc, certains se dotent d’une raison d’être particulière : au Québec, un Jardin s’est créé en soutien à une petite entreprise de sirop d’érable. L’enjeu : permettre à l’activité de perdurer en trouvant des modalités de fonctionnement en collectif qui conviennent à la porteuse qui s’essouffle seule dans son projet. À Nantes, un Jardin s’est constitué autour d’un défi : trouver un moyen de relier, d’initier la coopération entre les associations du territoire.

Se relier autour de communs pédagogiques et numériques

Avec plus de 10 000 personnes inscrites au Mooc, le numérique collaboratif est un gros plus pour relier et animer en réseau une communauté d’acteurs nombreux et dispersés partout dans le monde, et issus d’une large variété de contextes (entreprises, collectivités, mouvements citoyens, établissements scolaires, etc.). La plateforme permet aux acteurs de se retrouver grâce à des cartographies (par zones géographiques ou contextes organisationnels) ou à un agenda participatif des rencontres et événements (75 rencontres locales ont été organisées sur les deux premiers mois du Mooc).

Chaque exercice du Mooc est une invitation à créer des connaissances. En effet, plutôt que de proposer des exercices de validation de connaissances, les exercices invitent chacun·e à se questionner sur une thématique (se réunir autrement, communiquer, décider ensemble, etc.). Des formulaires en ligne leur permettent de partager les résultats de leurs explorations et ainsi de contribuer à la base de connaissances commune. Il s’agit de faire goûter de manière simple et concrète à la facilité et au plaisir de produire ensemble des richesses partagées.

En effet, toutes les vidéos, les supports pédagogiques, les exercices, les kits produits par l’équipe du Mooc et par ses participants sont sous licence ouverte Creative Commons CC BY SA. Ces ressources sont donc directement réutilisables librement par chacun⋅e dans leurs organisations. Tout ce qui a rendu le Mooc possible fait l’objet, sur la plateforme, d’un appel à participation libre et consciente pour ces 4 mois de formation. Cette expérience est donc aussi une sensibilisation à la culture de la contribution et à la création de communs.

De nouveaux Jardins du Nous

Le dernier chapitre du Mooc « Atterrissage » accompagne les participants dans la définition de leurs prochains pas pour continuer l’exploration de la gouvernance partagée. Concernant les Jardins, chaque groupe peut co-construire son bilan des apprentissages, le partager avec les autres Jardins sur le wiki et réfléchir à ses prochains pas, comme par exemple :

  • Participer à un rassemblement des Jardinier·e·s fin juillet ;
  • Poursuivre les rencontres et les apprentissages en adhérant à l’organisation JDN qui relie entre eux des Jardins permanents et leur fournit un accès à des ressources pédagogiques et numériques communes ;
  • Réaliser un défi du faire ensemble, c’est-à-dire une action concrète à réaliser en gouvernance partagée dans un laps de temps donné ;
  • Faire appel à des professionnels de l’accompagnement, notamment de la coopérative Hum !, pour de la supervision à distance ou des séminaires de formation en présentiel ;
  • Utiliser les ressources pédagogiques du Mooc pour concevoir son propre parcours d’intégration et de formation dans son organisation…

Les outils numériques expérimentés pendant le Mooc sont utilisés par la suite dans la communauté des JDN, ce qui facilite l’appropriation et les usages.

Un grand jardin commun entretenu et protégé par la communauté

Au plan théorique, depuis les travaux d’Elinor Ostrom sur les ressources gérées comme des communs, on cerne mieux les conditions de réalisation de tels projets. Ces conditions consistent en l’existence d’une culture partagée de la contribution, de processus d’entrée et de sortie, de processus de gestion des conflits, de règles de gouvernance qui incluent toutes les parties prenantes, et de moyens garantissant une autonomie de fonctionnement.

Tous les espoirs sont permis pour que cette culture, ces usages et ce nouveau modèle socio-économique se développent mais rien n’est gagné. Pour emporter cette bataille culturelle, des initiatives plurielles existent en France, telles que la campagne Contributopia de Framasoft, le projet Plateformes en communs de l’association La Coop des communs, ou justement celui des Jardinier·e·s du Nous. Pour autant, ces îlots ont besoin de faire archipel et de prendre de la visibilité dans la société. Quelles sont les conditions concrètes de pérennisation ? Pour pérenniser un dispositif qui relie des Jardins du Nous et leur offre l’usage d’une infrastructure numérique commune, plusieurs ingrédients ont besoin d’être réunis :

  • Des Jardinier·e·s qui sont autonomes dans le choix et les modalités de leurs apprentissages, de leurs échanges, et qui assurent l’indépendance financière du dispositif par leurs contributions ;
  • Une plateforme numérique pérenne qui réponde à un double cahier des charges pédagogique et coopératif (un « Grand jardin » partagé) ;
  • Une petite équipe noyau qui anime cette infrastructure coopérative ;
  • Un cadre de gouvernance de l’ensemble du dispositif qui inclut toutes les partie prenantes.

Avec qui co-construire ce bien commun ?

L’Université du Nous a développé sa vision, sa pratique de la gouvernance au gré des séminaires et des accompagnements qu’elle a réalisés durant ces 10 derniers années. D’autres initiatives, d’autres approches complémentaires du faire ensemble et de la pédagogie ont vu le jour et se sont développées en parallèle. Pour permettre l’avènement d’une réelle culture de la coopération, il est essentiel que ces pratiques se rencontrent, se croisent, se fertilisent mutuellement au sein des organisations.

C’est pourquoi cette communauté apprenante des Jardinier·e·s du Nous n’a de sens que si elle rassemble au-delà de l’UDN. L’ambition est de réunir les acteurs de la formation et de l’accompagnement qui sont prêts à mettre en commun leurs ressources pédagogiques et à soutenir le développement de ces modes de co-apprentissages autonomes. Pour cela, il s’agit donc que ce projet, jusque là incubé administrativement par l’UDN, se dote d’un statut juridique propre, d’un modèle économique pérenne et d’un cadre de gouvernance multi-parties prenantes. C’est tout l’enjeu des prochaines étapes ! Si vous voulez faire partie de l’aventure, écrivez à contact@jardiniersdunous.org.

Anne Lechêne, rôle Veille et connexions de Jardinier·e·s du Nous.

Romain Vignes, 1er lien de l’organisation Jardinier·e·s du Nous.

Pour aller plus loin :